L'ayahuasca, un usage millénaire

L'usage traditionnel de l'ayahuasca est connue de la majorité des sociétés amazoniennes, et ce depuis bien longtemps: les premières traces de cérémonies remontent à environ 1000 ans. Ici, nous présentons quelques points importants pour mieux cerner ce qu'est l'ayahuasca.

8/22/20255 min lire

Si l’Amazonie est reconnue comme le poumon de la planète, c’est bien pour sa biodiversité inégalée. Avec ses 5,5 millions de mètres carrés, elle représente la moitié des forêts tropicales de la Terre. Dès lors, il est facile de comprendre pourquoi le monde végétal occupe une place centrale dans la culture des peuples d’Amazonie, vivant dans cet écosystème géant depuis leurs origines. Au fil des siècles, ils ont pu élaborer leurs propres stratégies médicinales en se fondant sur des terres riches en principes actifs et en substances à vertus thérapeutiques.

L'ayahuasca est à la fois une plante et un breuvage préparé traditionnellement et utilisé dans un cadre rituel pour traiter divers troubles physiques, psychologiques, psychosomatiques et émotionnels. Elle est également consommée dans une visée plus spirituelle et pour explorer des états modifiés de conscience, notamment à travers des expériences oniriques. Dans les sociétés amazoniennes, les cérémonies d’ayahuasca font partie des pratiques médicinales chamaniques des plus anciennes (entre 1000 à 2000 ans). Le terme ayahuasca signifie en quechua « liane des morts » (aya : mort, esprit ; huaska : corde, liane). Selon le peuple qui l’utilise, l’ayahuasca arbore différents noms : Avireri (dieu de la forêt) pour les Ashaninka du Pérou, Yajé (ou yagué) pour les Tukano en Colombie, Caapi pour les Tupi-guarani du Brésil, ou encore Nishi Oni ou Oni selon les Shipibo.

Chaque dénomination s’accompagne d’un mythe qui explique la découverte de la plante par le peuple, mais toutes les mythologies s’accordent pour dire que l’ayahuasca est « l’esprit de tous les esprits », la plante mère qui enseigne aux initiés.

Point scientifique

Les effets psychotropes qu’elle génère sont le résultat d’une réaction chimique de deux plantes aux alcaloïdes puissants : l’écorce de la liane ayahuasca (Banisteriopsis caapi) de la famille des Malpighiacées, contient des bêta-carbolines (l'harmaline et l'harmine) et les feuilles de chacruna (Psychotria viridis, Rubiaceae) contiennent la DMT (diméthyltryptamine, N-diméthyltryptamine), une substance psychotrope. Lorsqu’elle est consommée seule, la DMT n’a aucun effet sur l’organisme, grâce à l’action des enzymes MAO (monoamines oxydases, MAO-A et MAO-B) situées dans les intestins, qui la décomposent avant qu’elle ne passe dans le sang. Les MAO agissent comme barrière de sécurité pour éviter l’absorption d’acides aminés dangereux (par exemple, la tyramine stockée dans certains fromages vieux). Lorsque les MAO sont inhibés (bloqués), la DMT peut circuler librement dans le sang. La durée de l’inhibition peut varier selon que l’agent inhibiteur est réversible ou non : un IMAO (Inhibiteur de MAO) comme certains médicaments antidépresseurs, peut agir pendant des jours voire des semaines, tandis qu’un IRMAO (Inhibiteur Réversible de MAO) opère seulement pendant quelques heures: c'est le cas des alcaloïdes de l'ayahuasca. Par l’inhibition des MAO, celle-ci active temporairement la DMT contenue dans la chacruna. Celle-ci est la cause chimique des visions générées et des modifications de conscience.

Les sociétés amazoniennes ont acquis le savoir de la composition moléculaire de ces deux plantes, réalisant un dosage parfait. Certains diront qu’ils les ont acquises directement par l'ingestion des plantes hallucinogènes.

Patrimoine culturel de la Nation au Pérou

Ce n’est qu’en 2008 que l’ayahuasca a été déclarée patrimoine culturel de la Nation au Pérou (Résolution Nationale n°836/INC du 24 juin 2008). Le Ministère de la Culture affirme que « la pratique des séances rituelles d'ayahuasca constitue l'un des piliers fondamentaux de l'identité des peuples amazoniens et que leur utilisation ancestrale dans les rituels traditionnels, garantissant la continuité culturelle, est liée aux vertus thérapeutiques de la plante ». Dans d’autres sociétés traditionnelles, des plantes dont l'utilisation est aussi ancienne, remplissent le même double objectif médicinal et culturel. Par exemple, chez les Samoas du Pacifique occidental, la Kava est une plante médicinale sacrée aux usages millénaires. Il en est de même pour l’iboga (Tarbernanthe iboga) utilisée lors du rituel Bwiti au Gabon, la rue de Syrie (Peganum harmala) en Asie, la Virola (Virola caloPhylla) chez les Yekwanas du Venezuela ou encore l’Amanite tue-mouches (Amanita muscaria) qui pousse dans l’hémisphère nord.

Le rôle du chamane*: Pourquoi il est important d'être accompagné.e lors d'une cérémonie d'ayahuasca ? 

D'une part, ce sont des années de formation et de pratique qui permettent d’être habilités à diriger les cérémonies d’ayahuasca, d'où l'importance d'être correctement orienté vers la bonne personne initiée. Les plantes psychotropes ont des vertus médicinales puissantes seulement lorsqu’elles sont prises dans un contexte traditionnel. Cela ne veut pas dire que le principe actif est annulé lorsqu’une personne initiée ne dirige pas la cérémonie. Cependant, le sacré reste l’élément qui assure l’efficacité des vertus médicinales recherchées, puisque celles-ci sont révélées et controlées par le guide pendant le rituel. D'ailleurs, de nombreux.ses chamanes précisent que ce qui est fondamental est l’intention mise dans la guérison. 

D'autre part, la personne initiée aura fait au préalable un diagnostic de votre état psychique et physique et jugera si vous avez le profil pour vivre une cérémonie. Cependant, en aucun cas un rituel d'ayahuasca ne remplace une consultation chez un médecin généraliste ou spécialisé.

Le rôle du ou de la chamane et le contexte traditionnel dans lequel l'ayahuasca est consommée sont deux éléments importants. La Résolution n°836/INC explique que c’est « une plante sage ou maîtresse qui enseigne aux initiés les fondements mêmes du monde et ses composants ». Elle ajoute:

« Les effets de sa consommation constituent l'entrée dans un monde spirituel et ses secrets, c’est ainsi que la médecine traditionnelle amazonienne a été structurée autour du rituel de l'Ayahuasca (…) et [est] indispensable pour ceux qui assument le rôle de détenteurs privilégiés de ces peuples cultures (…) ».

« Les effets produits par l'Ayahuasca (...), sont différents de ceux habituellement produits par les hallucinogènes. Une partie de cette différence réside dans le rituel qui accompagne sa consommation, ce qui entraîne des effets divers, mais toujours dans une marge culturellement délimitée ».

*guérisseur.se, facilitateur.rice, femme/homme médecine

Sources:

BERLIN B. (1992). Ethnobiological Classification Principles of Categorization of Plants and Animals in Traditional Societies. Princeton University Press

ITURRIAGA SAN JOSE A. & RIVERA CACHIQUE R. (2016). Ayahuasca de la selva su espiritu: Tecnica aborigen del autoconocimiento (2ème édition). Cusco : Rumi éditions E.I.R.L

NARBY J. (1995). Le serpent cosmique. L’AND et les origines du savoir. Éditions Georg

SCHULTES R. E. (1978). Atlas des plantes hallucinogènes. Éditions de l’Aurore

TOURNON J. (2002). La Merma mágica. Vida e historia de los Shipibo-Conibo del Ucayali, Lima, Centro amazónico de antropología y aplicación práctica (CAAAP), cartes, tabl., fig., 8 pl. hors texte

Résolution directoriale nationale n°836/INC (RDN) du 24 juin 2008, Déclaration du patrimoine culturel de la nation aux savoirs et usages traditionnels de l'Ayahuasca pratiqués par les communautés autochtones amazoniennes.

 http://administrativos.cultura.gob.pe/intranet/dpcn/consulta.jsp?pagina=20